Chavirage dramatique au Pays de Galles

Chavirage dramatique au Pays de Galles

Le 2 juillet 2005, un chavirage dramatique est survenu au Pays de Galles sur un petit voilier dayboat, coûtant la vie à un grand-père et à son petit fils.
Un rapport d’étude approfondi a été réalisé par le département d’enquêtes des accidents maritimes (voir le rapport en anglais) afin de comprendre comment cela a pu arriver, et d’éviter que cela se reproduise à l’avenir.

Je vous propose ci dessous une synthèse en français de ce rapport, qui, je l’espère, vous aidera à éviter une telle situation, ou à la gérer de la meilleure manière possible, le cas échéant.

L’accident a eu lieu sur un Bez 2, avec 4 personnes à bord : le grand père (64 ans), propriétaire du bateau depuis quelques mois, accompagné de son fils (le père, 38 ans) et de ses 2 petits-fils de 8 et 11 ans.

Partis à midi, ils s’aident du moteur car le vent est faible. Le voilier poursuit sous grand-voile seule lorsque le vent monte.
Tout l’équipage est assis sur le banc du cockpit au vent et le père tient la barre et l’écoute de grand voile.

Le vent forcissant encore et la mer devenant agitée, le plus jeune est envoyé s’abriter des embruns dans la cabine.
Le panneau en bois qui la referme est verrouillé de l’extérieur.

Le bateau est équilibré sous voiles, mais le père trouve que la grand-voile est de plus en plus difficile à tenir à la main.
Il fait un tour avec l’écoute autour du taquet d’amarrage à l’arrière.

Peu après 14h30, tandis qu’ils arrivent à environ 350 m d’un cap, une rafale soudaine fait giter le bateau. Le barreur ne peut contrôler le mouvement à la barre.
L’eau pénètre dans le cockpit, le bateau chavire et rapidement, se met à l’envers.

Tout l’équipage parvient à quitter le bateau retourné, y compris le plus jeune fils qui s’échappe de la cabine par le panneau avant.

Le père grimpe sur la coque retournée et ressort complètement la dérive qui avait presque entièrement basculée dans son puits.
En se pendant à la dérive, il redresse le bateau qui, presque aussitôt, rebascule sur lui et revient à sa position à l’envers.

Il recommence. Lors de cette seconde tentative, le bateau se redresse pendant une quinzaine de secondes avant de chavirer de nouveau à l’envers.
Le père a le temps de constater que le cockpit est plein d’eau, que la porte de la cabine n’est plus là et que la grand voile n’est plus attachée au taquet d’amarrage.

Pour l’heure, le grand père éprouve des difficultés à respirer. Son fils réalise que son gilet n’est pas gonflé et il le tire sur la coque retournée pour déclencher le gonflage du gilet. Mais le gilet semble mal attaché et le grand père a toujours du mal à respirer. Il meurt une dizaine de minutes après le chavirage initial.

Le père parvient à tirer son plus jeune fils au milieu de la coque retournée et doit le soutenir pour l’empêcher de retomber. Le grand frère est, lui, capable de se tenir tout seul hors de l’eau sur la coque.

Une demi-heure après le chavirage, ils aperçoivent un bateau à 200 m. L’aîné grimpe au milieu de la coque pour faire des signes… Sans succès.
Une heure plus tard, 16 heures, le fils aperçoit un deuxième bateau et lui fait signe frénétiquement. Il est vu par le bateau de pêche, distant de 500 à 1000 m, qui se détourne vers eux.

Les gardes cotes sont alertés par VHF.
Dès que le bateau de pêche les rejoint, le plus jeune fils est hissé à bord et une réanimation cardio-pulmonaire est commencée.
L’assistance d’un hélicoptère est demandée pour évacuer l’enfant vers un hôpital.

Le corps sans vie du grand père est retrouvé quelques minutes plus tard à un demi mile du voilier.
Hypothermie et noyade.

A 16h26, une personne ayant le brevet de secouriste est transféré depuis un autre bateau qui naviguait dans les parages.
Peu de temps après, arrivent le bateau de sauvetage et l’hélicoptère qui hélitreuille l’enfant dont le décès par hypothermie sera constaté à son arrivée à 16h46 à l’hôpital.

L’un des bateaux de pêche prend le voilier en remorque. Ce dernier plonge du nez sous l’eau, y compris à faible vitesse.
2 sauveteurs se mettent à l’eau pour tenter de le redresser. Ils mettent le voilier sur la tranche sans parvenir à sortir le mat de l’eau. La voile est coupée et coulée et d’autres tentatives sont réalisées en mettant leur poids sur la dérive.
Ne parvenant pas à redresser le bateau à plus de 45°, ils se résignent à tracter le bateau à l’envers jusqu’au port le plus proche.

METEO

Le bulletin météo du jour annonçait : « vent force 3 à 4, se renforçant 5 à 7 par moment. Mer calme à modérée devenant modérée à agitée. »

La température de l’eau était d’environ 16°. Lors du sauvetage, le vent a été mesuré à 6 beaufort et les vagues à 1,5 m.

Ni le grand père, ni le père, n’étaient au courant de cette météo.
Ils avaient écouté la météo locale à la télé la veille au soir, rien de méchant n’était annoncé.

EQUIPAGE

Le grand père, âgé de 64 ans, a possédé un bateau à moteur de 5 m pendant plus de 30 ans et avec lequel il naviguait souvent.
Il n’avait pas d’expérience de la voile avant d’acquérir ce voilier et avait navigué 7 fois avec, dans des conditions variables.

Le père, bon nageur, avait accompagné son père dans la plupart de ses sorties à la voile, totalisant une quarantaine d’heures à bord, plus une vingtaine d’heures de pratique du dériveur sur lac durant sa jeunesse.

Tous les deux pensaient qu’en cas de dessalage, le voilier pouvait se redresser si la cabine restait à peu près hermétique par le verrouillage du panneau de pont et de la porte.

Le père savait que la charge maximum recommandée était de 3 personnes plus leurs affaires, mais étant donné qu’il y avait 2 enfants, il ne pensait pas être en surcharge.
Il n’ignorait pas que le bateau était prévu pour des navigations à proximité de la côte, mais ne savait pas à quoi correspondait l’homologation en catégorie C indiquée sur la plaque du constructeur.

Tout l’équipage était en short, tee-shirt et tennis. Le grand père portait en plus une veste légère et un gilet autogonflant à déclenchement manuel, tandis que le père et ses fils portaient des gilets de dériveur.

Le grand père et son fils totalisaient 199 kilos à eux deux, tandis que les deux enfants totalisaient 69 kilos soit un total de 268 kilos plus le matériel (une trentaine de kilos) pour un chargement total avoisinant les 300 kilos.

Le bateau

La charge maximum recommandée est de 250 kg, équipement compris. Le bateau est homologué en catégorie C, c’est à dire conçu pour naviguer par force 6 dans des creux de 2 mètres.

Le bateau est construit en polyester. La cabine comprend des contre-moulages non étanches enfermant les réserves de polystyrène.

Le cockpit est auto-videur mais la cabine ne comprend pas d’évacuation ni de pompe. La dérive pivotante en métal ne peut être bloquée en position sortie.

Il y a des taquets coinceurs pour le foc mais pas pour la grand voile. La surface de voile est limitée à 8,3 m² avec le foc, ou 9,8 m² avec le génois.

Homologation

L’homologation a été réalisée par un consultant sur la base des informations fournies par le constructeur concernant la flottabilité installée.

Le consultant a calculé qu’une flottabilité supplémentaire de 245 litres était nécessaire pour satisfaire aux standards.

Il a également calculé qu’un vent constant de 11,2 m/s (40 km/h) était nécessaire pour immerger le liston, soit au delà des 11 m/s minimum pour bénéficier de la catégorie C.

L’IMCI (L’institut International de Certification Marine) a refait les calculs et a trouvé un résultat inférieur à 11 m/s. Cependant, l’homologation en catégorie C restait possible à condition de disposer d’un système de réduction de voilure et de le mentionner dans le manuel du propriétaire.
Le manuel, en Allemand, alors que le bateau a été vendu en Angleterre, mentionnait : « lorsque la vitesse du vent dépasse force 4, la surface de voile doit être réduite d’environ 25% pour être conforme aux exigences de conception de la catégorie C. Attention, risque de chavirage ! »

Des réserves supplémentaires de flottabilité ont été ajoutées par le constructeur sous le plancher de la cabine.

Le constructeur avait réalisé un test réel de chavirage avec le prototype du bateau. Il était apparu qu’une personne devait nager en tête de mat pour empêcher le bateau de se retourner complètement, pendant qu’une seconde personne devait attraper la dérive pour empêcher le mât de couler.
Le poids de deux personnes sur la dérive permettait alors de redresser le bateau.

3 mois après l’accident, de nouveaux tests ont été réalisés par la RYA (Royal Yachting Association).
Lors du test de chavirage, le bateau s’est immédiatement mis à l’envers et la dérive est rentrée dans son puits.
La récupération de la dérive n’a été possible que grâce à un bout attaché sur la dérive avant le début du test.

Une fois la dérive ressortie, l’équipage a eu de grandes difficultés à remettre le bateau à l’endroit.
La cabine et le cockpit étaient remplis d’eau.
On ne peut écoper le bateau sans rechavirer qu’en soutenant le voilier de chaque côté à l’aide de deux autres bateaux.

Là encore, une grande quantité d’eau s’était infiltrée dans les contre-moulages et la coque.

La RYA conclut à une homologation en catégorie D (plan d’eau protégé) et non en catégorie C (navigation côtière).

Des tests réalisés sur le gilet autogonflant montrent qu’il maintient un homme inconscient la tête hors de l’eau à condition de l’attacher convenablement.

Autre cas

Le même après-midi, un autre Bez 2 chavirait sans pouvoir être redressé. Le vent était de force 4 à 5, avec des vagues de 50 cm. Le bateau naviguait au près, avec le mari (105 kg) assis au vent, à tenir les écoutes de foc et de grand-voile, tandis que sa femme (100 kg) était assise sous le vent, à la barre.

Une rafale de vent a couché le bateau faisant tomber l’équipage à l’eau, avant que le bateau ne se retourne complètement.
La dérive est rentrée dans son puits, empêchant toute tentative de ressalage.

Un bateau de pêche à proximité à récupéré le couple qui ne portait pas de gilet de sauvetage.

Le voilier a été tracté vers des eaux plus calmes pour être redressé, mais lorsqu’une personne est montée à bord, il s’est de nouveau retourné.

analyse

Inexpérience de l’équipage

L’équipage avait une faible expérience de la voile et peu de pratique.

La météo s’est fortement dégradée entre l’instant du départ et l’accident. La météo marine spécialisée avait prédit le coup de vent et non la météo télévisée.

Le père éprouvait des difficultés à maintenir la trajectoire du bateau lorsque le vent a augmenté, probablement à cause du fait qu’ils naviguait sous grand voile seule, ce qui rend le bateau ardent dans les surventes et nécessite d’utiliser fortement la barre pour faire abattre le bateau.

L’état de la mer s’étant dégradé, et aucun système ne permettant de maintenir le safran baissé, il est probable qu’il se soit en parti relevé, diminuant son efficacité.

Dans des conditions ventées, le contrôle de la grand voile est nécessaire à l’équilibre du bateau. Le fait d’attacher l’écoute au taquet n’a pas permis de choquer la grand-voile dans la rafale.

Le manque de contrôle sur la barre peut amener le bateau à se retrouver face au vent, et chavirer à cause de l’équipage amassé au vent, surtout si les vagues emplissent le cockpit.

Enfin, la surcharge a accentué le risque de chavirage.

La plupart des petits voiliers sont enclins à chavirer selon l’habileté et l’expérience de l’équipage. Dans ce cas, l’inexpérience de l’équipage a été fatale.

Le risque de chavirage aurait été grandement réduit si le foc et la grand-voile réduite avait été utilisés, au lieu de la grand-voile entière seule.
Cette action et un équipage plus expérimenté aurait permis d’avoir un bateau plus équilibré et contrôlable, permettant de gérer plus rapidement les rafales.

Après le chavirage, si le bateau avait pu tenir droit après avoir été redressé, cela aurait permis de sortir de l’eau le grand-père et son petit-fils, et peut-être d’éviter l’hypothermie fatale.
Le bateau aurait également été plus visible et l’équipage aurait eu accès aux fusées dans la cabine.

Un équipage expérimenté est plus apte à redresser un bateau chaviré. Cependant, dans notre cas, le père a parfaitement réussi à redresser le bateau à deux reprises dans des conditions difficiles, mais le voilier manquait de stabilité une fois plein d’eau pour rester à l’endroit.

L’équipement vestimentaire de l’équipage lui a apporté peu de protection contre le froid. L’eau à 16° et le vent ont vite fait d’affaiblir l’équipage.
Le port d’une combinaison néoprène, ou d’un coupe vent, auraient considérablement augmenté les chances de survie.

Enfin, le mauvais sanglage du gilet du grand père a fait basculer le gilet sur le côté. Ce dernier générait alors plus une gène qu’une assistance.
On ne sait dans quelle mesure les problèmes cardiaques du grand-père, et les médicaments qu’ils prenaient, ont joué dans ses chances de survie.

Homologation

Le voilier naviguait en côtière dans sa catégorie de conception (force 6 et moins de 2 m de vagues).

Les test de chavirage menés par la RYA montrent que le BEZ 2 ne remplit pas les conditions de stabilité et de flottabilité requises. Quant au test de raideur au vent, il correspond à la catégorie D.

Aussi, l’attestation du constructeur de conformité aux exigences de stabilité et de flottabilité requises par la norme était erronée.

Les calculs de la RYA jettent un doute sur l’exactitude des calculs réalisés en 2001 pour l’homologation du bateau. L’examen minutieux de ces calculs montre une erreur de paramètrage qui donne une vitesse de vent supérieure à 11 m/s alors qu’elle n’est en réalité que de 9,7 m/s… soit bien inférieure à la limite pour obtenir la catégorie C.
La vérification des calculs réalisés par le même consultant sur un autre bateau fait apparaître la même erreur.

Construction

L’instabilité du Bez 2 plein d’eau est dûe à un manque de flottabilité, probablement à cause de réserves de flottabilité insuffisantes et de l’entrée d’eau entre les contre-moules et la coque.

La demande d’ajouter de la flottabilité dans le report du consultant en 2001 a été signifiée à l’importateur (demandeur de l’homologation européenne) mais ce rapport n’a pas été remonté au constructeur. Si ce dernier a bien ajouté de la flottabilité par la suite, il n’est pas certain que les exigences du rapport aient été prises en compte.

Le danger de la pénétration d’eau dans les contre-moules était mentionné dans le manuel du propriétaire, qui indiquait de ne pas percer sans précaution les réserves de flottabilité. Les caissons remplis d’eau limitent la flottabilité du bateau et contribuent à son enfoncement dans l’eau.

Compte tenu de son instabilité une fois chaviré, la question se pose de l’utilisation d’un tel bateau dans des eaux protégées, mais sans assistance à proximité immédiate.

Conformité

L’enquête montre de nombreuses anomalies et manquements aux règles d’homologation :

  • avertissement sur la réduction de voilure absent des derniers manuels utilisateur.
  • non reprise du processus d’homologation par le constructeur lorsqu’il s’est passé de l’importateur.
  • informations erronées sur la plaque du bateau.

Actions

Il a été demandé au constructeur d’informer tous les propriétaires de BEZ 2 de la limitation en catégorie D du bateau.

Le Bez 2 a été retiré à la vente du marché britannique, le temps de modifier la documentation, le manuel utilisateur, les plaques signalétiques et les certificats d’homologation.

Le constructeur a décidé de ne plus produire le BEZ 2.

Epilogue…

Je complèterai les leçons clairement formulées dans ce rapport par plusieurs remarques personnelles.

1- Ce n’est pas parce qu’un voilier a les dimensions et le poids d’un dériveur de plage, qu’il va se comporter comme un dériveur de plage en cas de dessalage.

2- Un homme averti en vaut deux. Réaliser un chavirage volontaire avec votre petit voilier, dans de bonnes conditions de mer et avec une assistance adéquate, est sûrement le meilleur entraînement et enseignement pour être paré à gérer ce genre de situation. Vous découvrirez ce que vous êtes capable ou incapable de faire : sortir de la cabine ou aller récupérer un enfant dans la cabine, accéder à l’équipement de sécurité, monter sur la coque retournée, redresser le bateau, réembarquer, vider l’eau du bateau, …

3- Un mât moussé ou comportant une réserve de flottabilité en tête est probablement un atout pour éviter le retournement complet.

4- Le matériel de sécurité (fusées et miroir de signalisation) devraient rester accessible en cas de retournement. Il n’est pas inutile de le compléter par des équipements non obligatoires (VHF, couverture de survie, téléphone portable dans une pochette étanche, …).

La navigation sur de petits voiliers est une source de plaisir et de bonheur intarissable.
Comme toute activité de plein air soumise aux éléments naturels, elle comporte des risques qu’il ne faut pas ignorer.

Il nous appartient, par notre attitude responsable et la connaissance de nos propres limites et de celles du bateau, d’éviter que le bonheur ne tourne au cauchemar.

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