16ème jour
En souvenir des averses tombées durant la nuit, le ciel reste couvert ce matin. C’est au moteur que nous rejoignons le village de Maslinica (1) où l’on beache provisoirement sur une minuscule grève, à l’intérieur du petit port.
Nous en profitons pour nous ravitailler en pain et en fromage dans une petite superette. Florence se voit réclamer 50 kunas pour 300 grammes d’une sorte de gruyère… Elle s’apercevra, trop tard, qu’elle s’est fait avoir. A 22 euros le kilo, l’employé lui a facturé entre 2 et 3 fois le prix normal !
Malheureusement, ce ne sera pas la seule fois où nous serons victimes de ce genre d’arnaque. Bien que le niveau de revenus en Croatie soit bien inférieur à celui de l’Europe de l’ouest, les prix dans les magasins sont globalement équivalents à ceux pratiqués en France. Il semblerait que les prix de ce qui n’est pas étiqueté (comme les légumes achetés au poids ou la charcuterie et le fromage à la coupe) subissent parfois une augmentation à la tête du client.
Devenus méfiants vis-à-vis de ces pratiques fort désagréables, nous tentons d’obtenir les prix de ce que nous envisageons d’acheter avant d’arriver à la caisse, histoire d’avoir le temps de vérifier si le prix est normal. Nombre d’articles ne sont pas étiquetés et ce n’est pas simple d’avoir l’information. Les employés rencontrés, par leurs soupirs appuyés, ou en nous renvoyant vers une autre personne, nous font sentir qu’on les embête à vouloir compter nos sous. Idem lorsqu’il s’agit de faire diminuer la portion de fromage qu’un vendeur zélé essaye de nous caser par kilos entiers.
On sent que le tourisme sur les îles est orienté vers une clientèle aisée, principalement allemande ou d’Europe du nord, dont le budget vacances est sûrement moins bridé que le nôtre…
Avant de repartir, nous aidons un plaisancier à déguerpir précipitamment du morceau de quai où il s’était amarré, empêchant le petit ferry qui fait la navette vers le continent de débarquer ses passagers.
Fin de la ruée vers l’ouest
C’est sous gennaker que nous rejoignons l’île suivante : Drevnik Vela (2). Nous mouillons dans peu de fond entre l’île et l’îlot de Krknjas (3) et pique-niquons, comme d’habitude sur le bateau.
Nous découvrirons plus tard que l’on aurait dû continuer jusqu’au petit îlot suivant (4) pour profiter du joli lagon turquoise qui le relie à l’île.
Le vent a faibli et le ciel reste toujours aussi menaçant. On décide alors d’arrêter là notre progression au portant vers l’ouest et de revenir vers Split (5) en s’aidant du moteur.
Nous longeons le continent à une vingtaine de mètres de la rive ce qui nous donne l’occasion d’admirer ce qui semble être un monastère accroché dans la verdure au milieu d’une longue falaise.
Tranquillité assurée et vue sur la mer imprenable !
Après 2 heures et demie passées principalement au moteur et ponctuées de quelques gouttes entre de brèves éclaircies, nous pénétrons dans la rade de Split.
Délaissant les marinas éloignées, je déniche un bout de quai (5) quasi vide à 50 mètres de la capitainerie du port et juste au pied de la vieille ville.
J’en profite pour m’acquitter de mes devoirs administratifs en allant payer mon droit de navigation, en tant que navire étranger, dans les eaux croates.
A 660 kunas (88 euros) le permis de naviguer d’une validité d’un an pour une embarcation de 6 mètres, cela reste raisonnable.
Split la magnifique
On se dépêche d’aller découvrir la ville car l’heure tourne et il n’est pas question de rester passer la nuit ici, en pleine ville.
En quelques mètres, nous découvrons un univers fantastique. C’est un incroyable mélange de constructions d’époques diverses enchevêtrées. Il y a une telle concentration de monuments et de vestiges qu’on pourrait croire un instant que tout cela est artificiel. Une sorte de Disneyland archéologique.
Mais tout est bien réel, héritage de l’histoire ancienne et riche de la ville de Split où l’empereur romain Dioclétien, originaire du coin, fit bâtir, pour sa retraite, un palais de 40 000 m² !
La balade à travers les ruelles de la vieille ville est un vrai régal. On passe d’immenses galeries voûtées souterraines à des parvis richement ornementés.
Les vestiges exhumés côtoient les fouilles en cours.
De paisibles ruelles désertées jouxtent le quartier animé où se donne rendez-vous la jeunesse branchée de Croatie et d’ailleurs, dans un curieux mélange de musique techno et d’ambiance babacool.
Revenus sur le front de mer, nous profitons du soleil réapparu pour nous régaler de glaces. Elles sont grosses, elles sont bonnes et en plus, elles ne sont pas chères : 5 ku soit 70 centimes d’euro seulement.
Notez au passage l’amarrage peu orthodoxe de notre trimaran. L’étrave sur un quai, la jupe sur un autre, on évite ainsi l’utilisation de pares-battages…
Come back orageux
Bientôt 18h30, il est temps de repartir : direction Jesenice (6) où nous attend la voiture et la remorque.
Puisque le temps se dégrade ici, il n’y a qu’à changer de région et en profiter pour remonter vers Zadar et les Kornati !
Nous voilà sous voile à tirer des bords au près, mais le vent faiblit et la progression n’est pas très rapide.
Derrière nous, les nuages sombres s’accumulent et la trace de pluies intenses s’imprime sur le ciel. Quelques éclairs commencent à traverser le ciel au loin.
Nous mettons le moteur et accélérons pour éviter que l’orage ne nous rattrape.
19h45. Nous pensions être sauvés mais déchantons lorsque l’on s’aperçoit que le petit port atteint n’est pas celui d’où nous sommes partis. Il reste encore un bon bout de chemin avant d’arriver au port « potentiellement bon » suivant.
Derrière nous, le tir des éclairs s’intensifie. Devant nous, ça se gâte également. Le ciel s’assombrit et quelques éclairs font leur apparition. Le vent et le clapot se lèvent face à nous tandis que le soleil s’étire sur l’horizon, faisant apparaître des lueurs orangées, bariolées d’éclairs blancs, entre les grains.
Flo rejoint les filles à l’abri dans la cabine tandis que j’enfile la veste de quart en prévision de la suite. Poignée des gaz à fond, il s’agit de ne pas traîner. Je repère en passant les abris où l’on pourrait se réfugier si ça dégénère … Mais pas vraiment envie de se retrouver coincé là pour la nuit.
Lorsque nous arrivons enfin au bon port, il est 20h30 passées et la nuit est tombée.
On peut souffler. Pas trop longtemps car 5 minutes plus tard, l’averse tombe sur nous. Intense et froide, elle nous arrose copieusement pendant la mise sur remorque et le démâtage. Heureusement que ces opérations sont rapides.
21h10, nous reprenons la route, bien à l’abri dans notre véhicule. On attrape quelques morceaux de pizza et hot-dogs en chemin puis embouquons l’autoroute vers Zadar. Une fois quitté cette dernière, je prends une petite route au hasard et au bout de quelques kilomètres, finis par dénicher un début de chemin en pierres assez spacieux pour s’y garer la nuit avec le bateau.
Il est minuit. Le chien de la seule habitation aux environs, à 200 mètres de là, se met à aboyer sans discontinuer. Au bout de 10 minutes, un homme sort et se dirige vers nous.
Je le salue en croate en espérant qu’il ne vient pas nous déloger. Il vient juste voir si l’on n’a pas de problème… Sympa !
On installe les couchages dans la voiture et le bateau et savourons notre nuit loin de toute menace orageuse.
De Jean-Marc Schwartz