J’ai rencontré Francesco il y a quelques jours tandis qu’il reprenait des forces après sa dernière « sortie » : un raid en solitaire sur un cata olympique à travers l’Atlantique. Rien que ça !
Avec beaucoup de gentillesse, il m’a reçu chez lui et permis d’en apprendre plus sur ses navigations hors du commun.
Accro du raid « No limit »
Le franco-italien n’en est pas à son premier coup d’essai. Cela fait bientôt 10 ans qu’il réalise des traversées au large et des randonnées « longue distance » sur des catamarans de sport.
« J’aime la simplicité. Toute la complexité, c’est avant, lorsque tu prépares le bateau. Ensuite, c’est super joli … Un grand moment de liberté ».
Il averti que « La partie traversée peut être pénible … Tu peux avoir du gros temps, pas de vent. C’est ingrat comme variante de randonnée… mais ça peut aussi être très agréable … c’est une affaire de personne.
L’expérience et la préparation physique font la différence. Une situation ressentie comme pénible par celui qui n’est pas habitué à naviguer peut être un moment de grand bonheur pour un randonneur des mer. »
Première en 2 jours
Sa première traversée, c’était sur un cata de 18 pieds, en 1997.
Avec un copain, ils s’élancent l’après-midi du continent (Antibes [1]). Parvenus à 20 miles nautiques au large, l’effet de la brise thermique s’arrête et les voilà partis pour une traversée qui durera 2 jours …
Durant 3 semaines, ils font le tour de la Corse [2] puis reviennent par le même chemin. Au total, 415 miles parcourus en toute autonomie.
L’année suivante, toujours à 2, aller-retour express en 48 heures, d’Antibes [1] aux îles de la Maddalena [3], entre Corse et Sardaigne.
En 2002, direction Cadaques [4] sur la Costa Brava en Espagne. 500 miles parcourus en 10 jours, seul à bord cette fois.
Force 8 au large
En 2004, en préparation de sa traversée de l’Atlantique, Francesco se teste en solitaire dans le gros temps.
Il part de Hyères en milieu de matinée avec 20-25 noeuds de vent tout en sachant que le gros temps se prépare. Sous grand voile seule à un ris, il encaisse 8 beauforts durant la traversée.
Les vagues ne sont pas excessivement hautes mais déferlent très souvent. Plein vent arrière et surtoilé, le bateau a tendance à enfourner …
Seul, il lui est impossible de s’arrêter pour prendre le deuxième ris. Il déboule tout droit et passe … limite, limite, arrivant à Calvi [5] (110 miles) le soir, après 12 heures de navigation. Le retour se fera en 17 heures.
Après cela, notre gaillard se sait d’attaque pour affronter l’Atlantique.
Une dernière virée en 2005 jusqu’à l’île d’Elbe [6] (400 miles) et le voilà fin prêt pour s’attaquer à l’océan et au record détenu … par son frangin, Alessandro (Canaries / Guadeloupe en 28 jours sur un cata de 20 pieds).
Le défi Transatlantique
Francesco a choisit de partir sur un Tornado, le catamaran mythique de 20 pieds, connu pour tourner en équipage en double autour de trois bouées olympiques, mais pas vraiment pour traverser les océans en solitaire.
Après un premier report dû aux conditions météo … et aux vacances des arbitres fédéraux chargés d’homologuer sa tentative de record, Francesco s’élance de Las Palmas [7](Canaries) le 2 janvier 2007 en milieu de journée.
Il est cueilli par du gros temps (plus de 30 nœuds) dès les premiers jours et doit se contenter de moyennes entre 5 et 7 nœuds. Le vent fort et les vagues (déferlantes de 4 mètres de hauteur durant la 3ème nuit) l’obligent à beaucoup manœuvrer et à rester à la barre, ce qui le maintient dans un état de fatigue continu.
Il rencontre des problèmes d’étanchéité avec sa combinaison semi-sèche et restera mouillé du début à la fin mais, finalement, cela ne l’a pas trop gêné … à côté du reste.
Silence radio …
Le 5ème jour, l’équipe à terre perd tout contact avec lui. L’hypothèse d’une défaillance technique est avancée en premier lieu même si un appel aux navires naviguant dans la zone est lancé pour tenter d’obtenir des nouvelles du marin.
Pendant plus de 10 jours, l’équipe à terre en est réduite à calculer sa position théorique selon les conditions météo.
Ils ignorent que Francesco a chaviré durant la nuit du 7 janvier … et qu’il a perdu tout son équipement. Plus d’eau ni de vivre, plus de GPS ni pilote, plus de pharmacie ni vêtement, plus de lunettes de soleil ni communication … Il se retrouve seul sur l’océan avec son bateau, trempé dans son ciré et c’est tout. Enfin presque. Il lui reste sa balise de détresse portative qu’il garde, heureusement, en permanence sur lui.
Il décide alors de poursuivre sa traversée en espérant croiser un navire qui pourrait le ravitailler.
Deuxième chavirage
Deux jours plus tard, Francesco chavire de nouveau, complètement chapeauté cette fois ci. Le Tornado est réputé pour ne pas pouvoir être redressé par un homme seul une fois à l’envers … Francesco installe une perche de 4 mètres en carbone prévue à cet usage pour faire levier mais, fixé précipitamment, le tube casse.
Il hésite entre se résigner et déclencher sa balise, ou continuer de se battre. Finalement, en utilisant son bout dehors, il parvient à redresser son bateau après plusieurs heures d’efforts.
12 jours sans eau ni nourriture
Des bateaux, il n’en croisera pas. Pas plus que des averses qui auraient pu lui apporter de l’eau douce. Il devra se contenter d’un peu d’eau de mer (constamment mouillé, il se déshydrate peu) et d’un unique repas : 2 sardines qui ont la bonne idée de s’échouer une nuit sur son trampoline. « J’ai arraché la tête avec les dents pour tuer la première puis j’ai recraché la tête » raconte t-il en se souvenant avoir aussitôt regretté ce réflexe gaspilleur.
Francesco dit n’avoir pas vraiment souffert de la faim. « J’étais calme, je m’économisais, … style yoga ».
Pour la soif, c’est autre chose : « J’avais l’impression d’avoir 2 éponges dans la bouche, une en haut et une en bas ».
Côté sommeil, là aussi, c’est « ceinture ». En l’absence du pilote parti à la mer, Francesco barre constamment, s’assoupissant parfois quelques minutes avant que les voiles ou une vague ne viennent le réveiller. « J’étais tellement motivé, dans un état second, que c’était pas un problème de barrer jour et nuit ».
Ce qui inquiète le plus Francesco, ce sont ses escarres aux mains. Entre la malnutrition, le sel et l’humidité permanente, leur état empire rapidement.
Ce n’est pas douloureux … mais il se demande s’il ne va pas finir par voir l’os !
Le 18 janvier, épuisé par la soif et la fatigue, il se résigne à déclencher sa balise. Il est récupéré 8 heures plus tard par le Normand Lady, énorme cargo méthanier qui parvient à le localiser en pleine nuit malgré la position erronée renvoyée par sa balise.
L’équipage l’accueille à bord avec bienveillance.
Fin de l’aventure. Il ne lui restait que 700 miles à parcourir pour toucher au but …
Préparation
Le leitmotiv de Francesco tourne autour du poids du bateau. « L’idée, c’est d’être léger. Plus t’es léger, plus t’es en sécurité ».
Pour une traversée de l’Atlantique
Pour sa transat, Francesco disposait d’un cata ultra light : sandwich nid d’abeille Nomex/époxy pour les coques et carbone pour les espars.
Avec des flotteurs de 40 kg seulement, le Tornado utilisé affiche un poids de 140 kg sur la balance. Pas mal pour un cata de 6m10 portant 42 m² de toile au portant contre 24 m² au près.
Francesco avait embarqué une soixantaine de kilos de matériel. Trop d’affaires juge t-il après coup : « Limiter les vêtements, c’est limiter les bidons donc limiter le bordel ».
Environ 25 litres d’eau, un dessalinisateur à main (Survivor 35), fruits secs, müesli, riz, semoule, protéines en poudre, …
Pour l’habillement, plusieurs sous-vêtements (première couche) + 2 couches thermiques (polaire intégrale Helly Hansen en 2ème couche) + une troisième couche semi-étanche, respirante et imperméable (Ocean Jacket de Musto), en 2 parties, dont le pantalon avec les bottes intégrées.
Pas de combi sèche car inconfortable à la longue au niveau du cou et des poignées.
Pour les mains, il a testé différents gants de mer. Mais même avec les meilleurs : « La première fois que tu sors les mains des gants, tu les mouilles et ensuite, cela ne sèche plus ».
L’idéal serait d’avoir des gants fins en polaire ou en soie, une paire par jour, et ajouter une paire de moufle en Goretex par dessus. Mais pour cela, il faudrait préparer le bateau pour pouvoir faire les manoeuvres avec les gants, essentiellement les prises et les largages de ris.
En attendant, il enfile occasionnellement des mitaines de voile pour tenir les écoutes ou la drisse.
Pour alimenter le pilote, GPS, radio, VHF, téléphone Iridium, … Francesco disposait d’une batterie plomb de 10 Ah (celle qu’on utilise sur les scooters) et d’une batterie NiMh de secours. Des panneaux solaires assuraient la recharge des batteries.
Exemple de manoeuvre de gros temps
Lorsque ça souffle, à 150 ° du vent (grand largue), le Tornado déboule encore à 20 noeuds. Impossible de lofer sinon, c’est le chavirage. Il faut donc se mettre vent arrière pour ralentir, rouler le foc et attendre un train de vagues moins grosses pour lofer voile débordée.
En traversée Continent / Corse
Choisir une météo permettant d’éviter le près, et pas plus de force 5. Mieux vaut être 2 personnes sachant barrer à bord car en cas de coup de vent, impossible de laisser la barre à quelqu’un de peu aguerri.
Disposer d’un téléphone satellite de type Iridium est rassurant. A la fois en cas de gros problème, ou pour rassurer la famille en cas de retard avant qu’elle ne déclenche les secours.
La nuit, utilisation d’un bâton de lumière dont le principe chimique permet de disposer d’une lumière verdâtre pendant 8 heures.
Le pilote automatique (Simrad TP10) apporte un confort intéressant en navigation. Sa consommation théorique de 0.6 A/h est bien inférieure sur un multicoque léger.
A noter que Francesco est toujours parti sans chercher à se mettre en conformité avec la réglementation en vigueur … qui, de toute façon, ne l’autorisait pas à réaliser de telles traversées dans ces conditions.
Utilisation d’un harnais avec une longe courte et une longe longue, les 2 accrochées au bateau. Si l’on tombe à l’eau tandis que le bateau avance, la longe courte permet de rester au contact du bateau pour y remonter et ne pas se faire traîner derrière jusqu’à plus soif.
Si le bateau chavire et que l’on se retrouve coincé dessous par la longe courte, il faut pouvoir décrocher celle-ci au niveau du harnais pour pouvoir se dégager tout en restant accroché au bateau par la longe longue.
Raid côtier
Sur son premier cata de 18 pieds, Francesco remplissait les flotteurs de bouteilles plastiques destinées à assurer l’insubmersibilité du bateau. Il a pu vérifier l’efficacité d’un tel système le jour où il a éventré une coque sur un rocher et pu continuer ainsi de naviguer.
On notera que si la brèche est vraiment importante, au point que toutes les bouteilles s’échappent, alors adieu la flottabilité … mais il reste l’autre flotteur.
Une première approche consistait à stocker le matériel et les victuailles dans les coques… dans les bouteilles vides : Müesli (céréales), semoule et riz. Le tout préparé à l’eau froide lorsque l’impasse était faite sur le réchaud. « La consistance est bizarre mais le goût est le même » assure Francesco.
Le principe est de ne pas avoir de poids au dessus des flotteurs pour gérer au mieux le problème du chavirage.
La deuxième approche, adoptée lors de la transat, consiste à stocker le matériel dans des bidons étanches, les mêmes que ceux utilisés en kayak. Ces bidons, regroupés dans un grand sac, restent accessibles en navigation. Le sac n’est pas immobilisé sur le trampoline. Une amarre permet à ce dernier de glisser sous le vent, voir de tomber à l’eau, en cas de début de chavirage. Il s’agit à tout prix d’éviter que son poids n’aggrave le mouvement de chavirage. Une fois tombé à l’eau, il n’était par contre pas prévu que l’amarre se détache et que vous perdiez tout …
La troisième approche consiste à fixer des petits sacs sur les flotteurs et à prévoir un système d’aide au redressement (flottabilité en bout de mât, perche à « mâter » sur le bateau retourné).
La nuit, le cata est monté sur la plage. On peut s’aider de petits pare-battages, ou le monter en crabe en déplaçant alternativement chaque flotteur.
Francesco dort rarement sur le trampoline, souvent mouillé et pas à plat. Dans les ports, il s’invite dans le cockpit d’un bateau amarré à proximité et déserté.
Un matelas en mousse à cellules fermées apporte un peu de confort. Il peut être utilisé pour se protéger du vent, du soleil, voir même des embruns en navigation.
Histoires de famille
Que ce soit en montagne, sur des cascades de glace ou au milieu de l’océan, Francesco aime visiblement les grands espaces et les milieux naturels parfois hostiles. Mais l’aventure maritime est une constante familiale qui semble ancrée dans les gènes.
Lorsqu’ils étaient jeunes, ses parents achetèrent à Rome un Lightning, grand dériveur à coque ouverte qui fut série olympique durant 2 olympiades. Ne sachant comment le ramener jusqu’en Sicile, ils décident de revenir par la mer, avec juste quelques rudiments de voile.
L’année suivante, ils s’embarquent sur un prototype de cata de sport, le premier construit par Mattias. Au programme, traversée Sicile / Tunisie, pour y passer leurs vacances, puis retour.
Citons encore la traversée de l’Atlantique en cata de sport du papa avec le frangin, puis du frangin tout seul. Qui récidivera d’ailleurs quelques années plus tard, et toujours en solitaire, avec une traversée du pacifique de san Francisco à Yokohama au Japon.
La suite …
Calme et lucide, Francesco n’est visiblement pas traumatisé par sa mésaventure. Il a beaucoup appris de cette première transatlantique, sur ses capacités et celles du bateau.
Voyant que, finalement, les deux s’en sortent sans gros bobos… ils comptent bien retenter l’aventure ensemble !
Liens
et quelques uns des fournisseurs qui ont accompagné cette Transatlantique en Tornado
- Technocomposite, l’orfèvre du composite qui a réalisé les coques du Tornado
- Telespacio, solutions de communication par satellite
- ICP Solar, constructeur de panneaux solaires
- Ullman Sails, fabricant des voiles qui s’est appuyé sur la technologie de SpiderTech
- Alex Sellerie pour la réalisation du sac contenant les bidons.
De Jean-Marc Schwartz, février 2007