Changement de formule
Cette fois c’est décidé ! Après avoir fait du dériveur en sortie à la journée le long de la côte Nord de l’Île de Ré entre La Flotte, Saint Martin , Loix et Trousse Chemise durant les 30 dernières années (successivement en Zef, puis 470 puis 420 puis de nouveau en 470), mon frère Pierre et moi-même optons pour la formule rando.
Il s’agit pour nous d’élargir notre horizon et de découvrir de nouveaux rivages, dans une région très calme, en été, sur le plan météo.
Nous prévoyons de quitter Saint Martin un matin tôt pour aller à La Rochelle, à Aix , puis bivouac sur la côte nord d’Oléron vers Chassiron, pour rejoindre les Baleines à la pointe Nord Ouest de Ré, avant de revenir par la côte Nord de Ré sur Saint Martin où se trouve la maison de famille.
Préparation
La préparation de la rando s’engage plusieurs semaines avant les vacances d’Août.
Nous remettons le 470 à niveau avec changement des haubans, étais , trapèze et nouveaux gilets de sauvetage que mon épouse, légèrement inquiète de la tournure des évènements, m’offre en cadeau d’anniversaire en me disant que cela pourra toujours servir : la suite des évènements prouvera qu’elle avait raison.
Nous nous équipons du matériel indispensable pour ce type de rando (deux petits bidons étanches, des fusées de détresse, un sac étanche, duvets, petit matériel de bricolage, bouts, matelas mousse, auvent de protection pour rendre le bivouac moins exposé au vent et moins sensible à la rosée du matin, pare-battage pour hisser le bateau sur la plage, boussole).
Nous sommes assez confiants dans notre bateau: un 470 Morin de 1973 en très bon état de conservation, les voiles étant encore d’origine.
1er jour, La Rochelle puis l’Ile d’Aix
La semaine d’Août où mon frère et moi sommes ensemble à Ré, nous étudions avec attention les évolutions de la météo.
Dimanche et Lundi, une perturbation de Sud Ouest passe et la situation s’annonce favorable pour les jours suivants.
Nous achetons deux jours de nourriture et nous nous lançons de la plage de la Cible à Saint Martin dès l’aube suivante, poussés par un très léger souffle d’ouest et avec un bateau assez lourdement chargé, ce qui ne sera pas sans conséquences.
Nous cheminons doucement sous spi vers la Flotte, puis Rivedoux.
Nous passons, à peine secoués, sous le pont de l’île de Ré, puis direction La Rochelle que nous rejoignons au port des Minimes.
Après quelques bord dans la rade, nous mettons le cap sur le phare du bout du monde puis sur Aix que nous atteignons vers 13 heures, à marée basse, après un très long bord au largue sous spi avec un force deux qui rend notre 470 nettement plus vivant que dans le début de matinée.
En arrivant sur Aix, le vent monte progressivement.
La marée, à très fort coefficient, nous oblige à passer très à l’extérieur des parcs à huîtres de la côte sud est.
Une escale vaseuse
Nous nous avançons à proximité du port où nous pensons que la marée basse nous permettra de descendre pour nous dégourdir les jambes. Quelle est notre surprise de constater que la vase sur laquelle nous nous sommes plantés est une soupe quasi liquide qui nous empêche tout débarquement.
Après dix minutes de galère pour en sortir (nous nous sommes servis des deux rames pour faire pivoter le 470 de 180 degrés et repartir sous voiles dans la vase ….), nous décidons d’aborder un peu plus loin sur la cote rocheuse de l’ouest de l’île.
Escale suivante piégeuse
Juste au nord du phare, nous repérons ce qui nous apparaît comme une admirable petite plage de sable qui nous semble convenable pour beacher. Convenable seulement, car elle est orientée plein ouest, et donc, face au vent.
Malgré le force 4 établi, nous ne voyons pas de vagues déferler et nous décidons de tenter notre chance.
En avançant, confiants, nous nous apercevons avec horreur que le devant de la plage est tapissé d’éperons rocheux qui affleurent aléatoirement en fonction des vagues.
Pierre se met à l’eau… et perd pied immédiatement car les éperons cachent une hauteur d’eau encore importante.
Après avoir guidé le 470 comme il le peut en pataugeant d’éperons en éperons, Pierre nous conduit à la plage, la fin du parcours étant heureusement moins traître.
Quelques sandwichs plus tard , nous repartons, non sans quelques inquiétudes.
Le chenal d’accès à la plage est assez étroit, le vent de face est toujours établi et la marée n’a pas eu le temps de monter beaucoup.
Après mûre réflexion , je me mets à l’eau jusqu’aux épaules et je pilote, comme à l’aller, le 470 entre les éperons rocheux non sans me taillader les mollets sur lesdits éperons qui sont tapissés de petites huîtres peu sympathiques.
Pierre avait bénéficié du même traitement à l’aller.
Heureusement qu’il y a assez d’eau et que le 470, très manœuvrant avec ce vent, nous entraîne loin de cette petite plage un peu cauchemardesque.
Le vent monte
La suite de l’après midi s’annonce sous les meilleurs auspices : grand beau, force 4, belle houle, des voiles partout entre Aix et Oléron, et fort Boyard, que nous n’avions vu qu’à la télé et vers lequel nous nous précipitons en tirant des bords au près, Pierre à la barre et moi au trapèze.
Nous doublons un très beau vieux gréement puis nous nous baladons autour de fort Boyard, qui est très impressionnant vu de près.
L’après midi avançant, nous décidons de mettre le cap sur le phare de Chassiron, à la pointe de l’ile d’Oléron.
Le vent monte encore.
Le 470 pique des surfs de plus en plus vertigineux, au milieu d’une houle d’un bon mètre, qui déferle régulièrement.
Fatigué de me prendre des paquets de mer au trapèze, je prend la barre avec délectation… Pour m’apercevoir assez vite que le poste de barreur n’est pas une sinécure avec un tel vent, avec des risées probablement plus proche de 5 que de 4 maintenant.
J’ai de plus en plus de mal à contrôler le bateau dans ces risées… Mais quel bonheur de sentir ce fauve qu’est le 470 sous mes doigts.
En une fraction de seconde, tout dérape
Au lieu de serrer le vent pour remonter vers Chassiron, nous faisons l’école buissonnière et nous tirons des bords de folie au largue à quelques encablures de fort Boyard.
Je sais que le vent refuse quand je suis bâbord amures… mais peu importe car il y a tellement de vent… sauf qu’en une fraction de seconde tout dérape…
Une risée qui refuse, le 470 perd brutalement sa gîte et se met à plat, je ne corrige pas à temps -défaut de réflexe ou faute au poids ?- Pierre, au trapèze, n’a pas le temps de revenir et accroche une vague, ce qui nous ralentit instantanément et nous fait pivoter… foc à contre… nous chavirons au vent en prenant voiles et gréement sur la tête…
Passée la première minute de surprise, et après avoir émergé de dessous les voiles , nous nous précipitons sur les nombreux sacs qui flottent autour du bateau. Ils s’éloignent très vite, poussés par le vent. Nous en récupérons certains (nourriture, matelas) mais nous ne pouvons empêcher les autres de filer… Dont l’un des bidons étanches, théoriquement attaché, et renfermant appareil photo, téléphone et portefeuille…
Ensuite, commence une vraie période de galère.
Entre temps, le bateau dont la coque offre une belle prise au vent, a fait chapeau et s’est donc complètement renversé. Je le tiens bout au vent et Pierre (qui se souvient bien de tout ce qu’il a appris en étant moniteur de voile) se hisse sur la coque et tire sur la dérive. Le bateau se redresse lentement, puis très rapidement et le foc boudiné dans ses écoutes se gonfle comme un ballon à contre et fait chavirer le tout de nouveau, aidé en cela par la houle qui doit atteindre un bon mètre.
Pierre réitère la manoeuvre 2 fois, puis 3, puis 4. Sans succès.
Malgré le mois d’Août, nous sentons nos forces diminuer assez rapidement.
Nous ne sommes pas vraiment inquiets… Après tout, l’on ne risque qu’un bain forcé de plusieurs heures.
Mais le peu de succès de nos manœuvres nous interroge de plus en plus.
Impossible de démêler le foc, impossible de choquer les drisses, surtout celle de GV, étarquée sur un ergot métallique…
Puis, par je ne sais quel miracle, une énième tentative réussit.
Pierre est à bord. Je me hisse comme je peux en m’aidant du hauban et du trapèze. Nous remettons un peu d’ordre et nous décidons de partir en chasse pour retrouver nos bidons et sacs.
Plein vent arrière, il nous faut plusieurs minutes pour apercevoir nos affaires que nous récupérons avec difficulté compte tenu du vent.
Au bilan final, nous n’aurons perdu que les 2 rames et l’écope.
Une halte pour récupérer
Nous décidons d’aller prendre quelques repos sur la plage des Saumonards, sur la cote Nord d’Oléron, que nous atteignons rapidement.
La plage est belle, accueillante. Après avoir un instant songé à rentrer à Ré immédiatement, nous pensons qu’il est plus souhaitable de remette de l’ordre dans le bateau, de reprendre des forces et de rentrer le lendemain par un chemin le plus direct possible.
Nous nous faisons aider par des promeneurs pour hisser le bateau assez haut, compte tenu du fort coefficient de marée.
Puis nous organisons notre bivouac et faisons sécher ce que nous pouvons… Le tout donnant une impression de naufrage.
Luxueux comme bivouac , non ?
2ème jour, retour sur Saint Martin
7 heures du matin.
Après une nuit juste perturbée par les arrivées et départs des très nombreux pêcheurs à la ligne, nous enfilons nos vêtements trempés avec le sourire.
A bord, tout ruisselle d’eau de mer et de sable … mais Pierre tient le cap
3 heures plus tard, le pont de Ré.
Un énorme cargo se met dans notre sillage, dans sa route pour aborder au mole d »escale de La Palice.
Nous aurait-on caché qu’en mer un moteur est indispensable ? Apparemment non, car nous sommes sauvés par le vent qui forcit à 3 et nous éloigne rapidement.
Retour sur Saint Martin en milieu de journée, ravis de cette escapade pleine de surprises… Avec toutefois quelques questions sur ce que devrait être le bateau idéal pour faire de la rando côtière.
Coté navigation, notre 470 est un bijou sensible à la moindre risée, et avec lequel on ressent les moindres tressaillements de l’océan.
Sa mise en oeuvre est aisée, son transport idéal derrière n’importe quelle berline.
Peut être me faudra t il l’équiper d’un dispositif de prise de ris et d’un foc à enrouleur ?
Texte et photos de Marc Barrier